Visite de l'Exposition
Cette exposition au Musée des Beaux-Arts de Gaillac est le résultat d’une rencontre entre un lieu et une démarche artistique. Commandée par le conservateur, cette exposition a été conçue pour le lieu. Sous-sol du bâtiment, deux grandes salles voûtées, tout en briques, très intelligemment aménagée, deux petites salles très originales (à droite la Rotonde à gauche la Salle du Puits et une dernière, plus grande, aux murs lisses, rectilignes, sans ce supplément d’âme que j'ai surnommé la salle blanche.
Alix Colmant Artiste Plasticienne
Les Photos
Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, dès que l’on travaille avec la photo, elle change de définition en fonction de son utilisation. Il existe une sorte de consensus de principe qui veut que la photographie rende compte fidèlement du monde. Dans cette exposition, j’interroge cet a priori en jouant de la mimesis.Pour les grands formats de paysage, la proposition est traditionnelle même si l’œil du photographe est original : c’est une vision naturaliste du paysage gaillacois dont le caractère résulte de facteurs humains. Ici, je reste dans la mimesis.La photographie peut également jouer de l’échelle et donner au détail une dimension nouvelle. Le sujet de la photographie devient objet d’émerveillement devant les miracles de la nature. Il peut également devenir objet de questionnement lorsque le détail ainsi agrandit fait perdre la mimesis pour jouer avec la frontière de l’abstraction.
Alix Colmant Artiste Plasticienne
Encadrée
Oui, j’ai encadré la nature, dans un carré ! Répétition du geste, cadrage carré de chaque détail, carré du passe-partout, carré du cadre, pour terminer sur un carré composé des 36 détails. Géométrisation à l’extrême qui pourrait sembler un enfermement mais qui est surtout un dialogue entre l’artificialisation de cadre et la nature représentée. Plusieurs niveaux de lecture pour ces pièces : l’ensemble vu de loin est un jeu de contraste entre blanc et couleurs, formes rigides et lignes libres. Si l’on se rapproche, l’on découvre les jeux de nuances fines qui tendent vers le monochrome pour «Encadrée I», vers le camaïeu de couleurs chaudes pour «Encadrée II». Enfin, si l’on se rapproche encore, l’on peut découvrir les formes si libres et si originales de ces petits détails volés à la nature.
Cette installation vidéo est un travail sur la perception, sur le sensible au travers des trois sens qui se mettent en valeur mutuellement par le jeu d’oppositions : la vue reçoit une information qui va au maximum de l’artificialisation. L’odorat et l’ouie sont stimulés dans une direction parfaitement naturaliste. Le sensible est donc sollicité à plusieurs niveaux de sensations : L’immersion du spectateur dans un champ coloré qui passe de la mimesis (représentation traditionnelle d’un paysage donc vision rassurante) au monochrome par des mouvements de va et vient, du tangage, des vagues de couleurs plus ou moins saturées et plus ou moins abstraites. Salle plongée dans le noir, comme au cinéma, le spectateur perd ses repères extérieurs. La couleur est libérée de ses fonctions figuratives et devient autonome. Le titre, Colorfield, en plus de souligner l’autonomisation de la couleur, fait référence au mouvement « Colorfield Painting » où toute figuration est exclue, où l’œuvre fait abstraction de la forme pour mener à une phase méditative. Le titre joue également sur la polysémie du mot « champ » : champ agricole, champ de l’art, champ coloré…En contraste, le spectateur est plongé dans une ambiance sonore apaisante de bruits naturels, renforcée par l’odeur de la paille. L’identification des sons est facile, nous sommes parfaitement dans la mimesis. Le son et l’odeur engagent à la détente : la musique de la nature est connotée vacances, repos, farniente, fantasme du paradis originel. A mon avis, l’art actuel est plus physique qu’intellectuel. Ici, je façonne les sensations en dépassant le clivage figuratif/abstrait pour travailler directement sur le corps.
ColorField
Alix Colmant Artiste Plasticienne
Cette installation in-situ, enferme la nature dans un écrin de verre, comme on présente un objet de valeur. En fond de vitrine, la signature est celle de l’arbre. Ils sont morcelés puis recomposés sur un drap blanc. Carambolage de saisons, les arbres sont nus, les feuilles d’automne sont au sol, comme un résumé de la débâcle des derniers mois de l’année.
La morcellisation des arbres et le tapis de photographies joue de la polysémie du contraste entre le sujet et l’objet. La nature est le sujet de la photographie. L’objet photographique, recomposé de manière visible ou bien posé à profusion, en strates comme les feuilles d’automnes est l’artifice de la nature recréée.
Ultime artialisation de la nature, un texte de Francis Ponge, recopié sur la vitre extérieure, évoque l’essence même de ce qu’est la nature. Evocation redondante qui pourrait faire référence à l’œuvre de Kosuth, « One and three chairs".
Tapis de feuilles
Le Cycle des Saisons
Las de s’être contractés tout l’hiver les arbres tout à coup se flattent d’être dupes. Ils ne peuvent plus y tenir : ils lâchent leurs paroles, un flot, un vomissement de vert. Ils tâchent d’aboutir à une feuillaison complète de paroles. Tant pis ! Cela s’ordonnera comme cela pourra ! Mais en réalité, cela s’ordonne ! Aucune liberté dans la feuillaison …
Toujours la même feuille, toujours le même mode de dépliement, et la même limite, toujours des feuilles symétriques à elles-mêmes, symétriquement suspendues ! Tente encore une feuille ! La même ! Encore une autre ! La même ! Rien en somme ne saurait les arrêter que soudain cette remarque : « L’on ne sort pas des arbres par des moyens d’arbres. » Une nouvelle lassitude, et un nouveau retournement moral. « Laissons tout ça jaunir, et tomber. Vienne le taciturne état, le dépouillement, l’AUTOMNE. »
Francis Ponge, "Le parti pris des choses."
Le diaphane, l’aérien, l’air, l’ouverture dans une salle sombre, close, étouffante. Des rideaux de tulle (référence aux rideaux des fenêtres d’une habitation), percés d’ouvertures rectangulaires (fenêtres) dans lesquelles j'ai cousu des images de nuages (ouverture vers l’extérieur, le rêve) imprimés sur transparents (la transparence de la vitre). Tous ces éléments font référence à l’ouverture vers un extérieur, une vision de la nature indemne de toute intervention humaine (les nuages) et qui jouent du contraste avec cette salle très sombre, sans aucune fenêtre, à la structure architecturale un peu lourde (comme une crypte placée dans les soubassements du bâtiment).
Diaphane
Les sculptures
Pourquoi le bois ? Peut-être parce que le bois c’est le végétal, l’organique, l’éphémère comme l’humain même si c’est sur un long terme, en opposition au minéral, qui semble figé, éternel même si je sais qu’il est lui aussi sensible à l’érosion. Je garde des traces de l’homme dans mon travail sous plusieurs formes. Tout d’abord, et c’est ce qui est le plus important pour moi, dans le faire. Je veux laisser la trace du travail de la main humaine : le geste créateur. Après la trace laissée par le sculpteur sur le bois sauvage (pas de morceau manufacturé que je trouve vidé de toute substance, le rectangle de bois me glace) vient la sensualité du touché, la caresse du spectateur sur la forme ronde, organique. Dans mon travail de sculpture, je dis le vivant, la sensualité, la sensation …
Je tente aussi de concilier la rigueur formelle et la simplification abstraite, à l'expressionnisme de figures étrangement humaines ou animales. Avec du recul, on retrouvera ce dialogue éternel entre la nature et la culture, l'une se nourrissant de l'autre.
Fil Rouge
Montage photographique réalisé à partir des images précédentes.
Alix Colmant Artiste Plasticienne
Montrer par le fil rouge les lignes multiples que déploient chaque arbre, personnellement, au-delà de ce que l’homme a bien pu lui imposer comme alignement. Dans cet espace naturel parfaitement artialisé qu’est le parc Foucault, je tente de mettre en évidence, par une couleur encore plus artificielle, l’indépendance des végétaux par rapport à l’homme. Je détourne le fil de son usage agricole (c’est le lien utilisé par les vignerons), le tend sur le tronc pour matérialiser une frontière ludique prise entre souplesse de la forme organique et rigidité de la matière. Le matériau est banal, quotidien, le geste est simple, répétitif, mais les dimensions de l’installation remodèle le cadre initial.
L’enfermement des troncs par le fil rouge qui monte en spirale, jouant du trouble visuel, en désoriente l’appréhension et en redéfinit l’observation. Comme Christo, qui, lors de son emballage du Pont Neuf à Paris, affirmait le dissimuler pour que les Parisiens le regardent à nouveau, je dérobe au regard les troncs de ses arbres pluricentenaires afin que les promeneurs les considèrent d’un œil neuf.
Musée des Beaux-Arts de Gaillac
Ma démarche artistique ? Interroger la relation qu’entretien l'homme avec la nature par les moyens de l’art.J’utilise plusieurs médiums d’expression plastique sur un sujet récurrent : le dialogue Nature/culture ou pour le dire autrement, le dialogue entre l'homme et la nature. Quelle nature ? Quelle vision de quelle nature ? Le questionnement, le dialogue est riche.
Le rapport nature/culture m’intéresse dans la mesure où il parle de l’homme. J’ai donné comme titre à l’expo : Art Nature Culture parce que l’homme est à la fois dans Art et dans Culture. La Nature, placée entre les deux est dans le dialogue. Mes photographies de paysage montrent comment l’homme marque la nature de ses mains. Les lieux que je présente sont formidablement structurés et la géométrisation des plantations dialogue avec les lignes en pente douce de la nature. Le paysage est également une vision parfaitement artificielle de la nature. Le paysage n’existe que lorsqu’il est nommé, regardé. La création du concept de paysage est une artialisation de la nature. Dans mes photographies de gros plans, je tente de retrouver ce que la nature a de plus originel. Là où la main de l’homme ne semble pas être intervenue. C’est mon regard porté sur la nature qui se défend, sur son autonomie par rapport à l’homme dans l’inframince, dans le détail. L’homme peut modeler un cep de vigne en l’attachant dès sa naissance, mais il ne peut rien contre la structure des feuilles ou les anfractuosités de l’écorce.Avec Fil Rouge, c’est là aussi, marquer l’autonomie de la nature (à chaque arbre sa forme, sa ligne) mis en valeur par un élément hautement artificiel dans sa couleur et sa composition : la ficelle rouge. Et la boucle est bouclée puisque cette ficelle rouge est celle utilisée par les agriculteurs, les hommes, dans nos sociétés, les plus proches de la nature.En résumé, à travers toutes mes pièces, la nature est observée, détaillée, transfigurée, présentée, représentée, torturée, idéalisée, manipulée …
Je n’ai pas de conviction écologique pure et dure. Les travaux pétris de moral et de culpabilité me semblent inefficaces, je préfère des œuvres ouvertes qui dessinent des pistes sans les asséner. J’aborde librement la nature et mes pièces se positionnent avec distance en dépassant les idées reçues. Ainsi, l’acte artistique propose un regard différent sur les relations qu’entretiennent les hommes avec la nature.